Le Syndrome du sommier, une exposition de Hugo Avigo. Du 18 décembre 2020 au 31 janvier 2021.
Commissariat : Salomé Burstein avec la complicité de Yvannoé Kruger
Avec le soutien de la bourse FoRTE de la Région Île-de-France
“A quoi ressemble une vie horizontale ? Quelles en sont les couleurs, le décor, voire même le papier peint ? Qu’on se figure nos existences allongées : les retrouvailles tant attendues avec l’édredon, les confidences sur l’oreiller ; la douleur du réveil-matin et la langueur des grasses matinées ; la torture des insomnies, celle des convalescences, et la nausée après une sieste trop longue. De la détente à l’apathie, il n’y a qu’un pas – reste encore à se lever du bon pied.
Le syndrome du sommier enjambe ces frontières. Il s’amuse des variations sur l’électrocardiogramme du repos. Dans cette installation, Hugo Avigo s’empare d’un objet qui a pour particularité d’être aussi un endroit : le lit. C’est le “lieu commun” par excellence : là où l’on rêve, où l’on pleure, où l’on jouit, parfois même où l’on meurt. Le lit dessine à lui seul un espace-temps. Il symbolise le moment du songe, de la décontraction physique et intellectuelle ; celui où le corps s’aplanit et subit la gravité, où l’esprit fait le bilan de la journée passée et où il rêve celle à venir…
Nous voici donc dans un étrange dortoir, ou parmi les rayons d’un magasin de meubles. A défaut de pouvoir s’y glisser, on ausculte les différents modèles. Ici, tout va dans le sens du moindre effort. Pour les bon.ne.s client.e.s, on fait même du sur-mesure : la poignée de la table est un moule de la main. La liseuse, elle aussi, est le résultat d’une empreinte. A quoi bon se lever ? demandait Oblomov . L’ergonomie est parfaite, et le reste du monde n’est qu’à portée de clic : manger, travailler, draguer, acheter… le de-lit-veroo peut satisfaire nos moindres appétits. Et quand la vie nocturne vient à nous manquer, on invite le comptoir de bar à notre table de chevet. Un anneau réclame une partie de ringing the bull ; non loin de là, un lit-caméléon se transforme en boule disco. Sur ses draps, les miroirs se mêlent aux pixels : laissant derrière eux une photographie, les rêves ont imprimé l’oreiller. Ils ont aussi contaminé les objets de la veille : le gazon, encore humide de bière, a recouvert les canettes ; la table de nuit ronronne comme les chats d’instagram. Sous cette auréole de néons, on dirait même que le béton lévite. Il y a du mystère dans la pneumatique du matelas.
Perché au seizième ciel, Le syndrome du sommier flotte au-dessus des contraires. Il devient un carrefour où se croisent le labeur et l’oisiveté ; l’intime et le public ; la consommation et la contestation. Car s’il accomplit “le rêve d’une connectivité domestique” , le lit revendique en même temps son droit à la paresse. Greffé au mur, l’ascenseur s’est mis en grève. De l’autre côté, la baie vitrée nous rappelle le Bed-In. John et Yoko planent au-dessus du périph ; Bartleby arpente les couloirs de cette tour de bureaux… Les fantômes fourmillent parmi tous les sommiers. Histoires à dormir debout, bedtime stories… Ces lits nous racontent une multitude d’histoires. Ils nous parlent de flemme et de fantasmes ; de temps longs mais aussi d’urgence ; de partage autant que d’isolement. Devenus “le visage de la catastrophe virale” , ils forment aussi les symptômes de tout un mal social : celui d’un monde où les lits manquent aux hôpitaux et où le quotidien est circonscrit au rebord du matelas.
Hugo Avigo évoque et éloigne la réalité dans un même mouvement. Il effrite l’ordinaire à coups d’absurde, d’irrévérence et de poésie. En détournant des éléments familiers, ses pièces perturbent le champ de nos perceptions. Elles offrent alors une surface à toutes nos projections. Que voit-on finalement, dans ces alcôves sous acides ? Un strip-tease, peut-être. Car les lits d’Hugo n’ont plus de couette, sa boule, plus de facettes, et le poulet même, a été déplumé. La rôtisserie devient un dispositif hypnotique : elle fait tourner les pensées en boucle, pendant qu’on digère une palette sauce samouraï. Ici les matelas sont surtout des monochromes. Les sommiers, pareils à des châssis, encadrent nos nuits blanches. C’est aussi tout un art que de “bâiller sa vie”.”
– Salomé Burstein
A propos de Hugo Avigo : Diplômé de la Central Saint Martins School puis de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris en 2015 (Diplôme National Supérieur d’Arts Plastiques avec félicitations du jury), il obtient un Programme de résidence à Zhouzhuang en Chine en 2014 et le Prix Jacob Epstein pour la sculpture en 2016.Nourri de ses collaborations (Rêvez#2, Collection Yvon Lambert à Avignon…), il fonde Feÿ Rencontres d’arts.Cherchant à renouveler nos connexions émotionnelles à l’espace public, sa pratique s’attache à « exagérer les codes de la sculpture,(…) redéfinir les limites du corps et de la pesanteur, des lieux et de leur fonction ». Il recrée des espaces sensoriels perturbés, sarcastiques et poétiques, « non pour sauver le monde de son absurdité mais pour mieux l’appuyer ».