Vestiges, une exposition par Quentin Germain. DU 21 octobre au 2 novembre 2021.

Par Sandra Barré

La ligne d’horizon est floue. Elle s’échappe, se dérobe presque à l’œil de quiconque plonge dans les profondeurs peintes par Quentin Germain. Graviers, fumées, débris et rochers s’enfoncent dans l’obscurité qu’un étrange faisceau lumineux vient rompre. Comme si les yeux des observateurs permettaient d’y voir plus clair, faisant émerger de la noirceur des fonds marins ce qui s’est toujours soustrait à la vue. Là, dans l’éternel cadre rectangulaire où des générations de peintres se sont employées à capturer vainement une vitalité fuyante, s’illumine le mystère opaque de ce qui se tapit sous l’eau abyssale. Dans cet énigmatique lieu désert où seule la discrète compagnie de petites bulles d’air, de coquillages et de quelques algues témoigne d’une vie feutrée, de lourdes questions sont soulevées. Qu’y a-t-il là-bas, dans ces paysages inaccessibles, presque mystiques, où l’on ne peut ni marcher, ni respirer, ni voir, mais qui sont si constitutifs des êtres que nous sommes devenus ? Comment le temps passe-t-il ? Est-ce le présent, le passé ou le futur qui y survit ? Qu’est-ce qui s’y joue ? L’être humain y est-il encore présent ? Les réponses sont multiples et chacun pourrait s’essayer à glaner quelques indices dans les mots ouverts des titres qui accompagnent les travaux de Quentin Germain (La Tour, DeepWater/ le Puis, La Route…).

Balustrade, échelle, lambeau de porte, débris de murs. Une présence, un vestige persistent : celle d’une lourde oscillation, celui d’un résidu. Empreinte chaude fendant la froideur des verts, bleus et gris des fonds peints, une vie pourtant perdure dans ces paysages esseulés. Celle de la réaction chimique de la rouille sur l’acier qui sert de support à l’artiste. L’oxydation qui y apparaît donne parfois des formes architecturales que l’on retrouve dans les simulacres de planches scientifiques croqués rapidement et mis en couleurs à l’aquarelle. Cette forme oxydée s’anime et se meut dans la vidéo Des Profondeurs. Solide et fière, elle se matérialise en sculptures de bétons, immergées dans des parcs à huîtres en Vendée pour y subir l’épreuve du temps. Quels que soient les médiums observés, se détache dans les œuvres de Quentin Germain, un morceau d’humanité coulé tout au fond du monde. Et ce fragment s’installe dans ces paysages magnétiques qu’il est difficile d’embrasser tout à fait. Submergeants et fascinants, ils semblent appeler à une résurgence du sentiment du sublime.

Quentin Germain a grandi Arabie Saoudite et au Brésil avant d’emménager à Paris lorsqu’il était enfant. Très tôt, son affection pour la fiction et les bandes dessinées le pousse à raconter des histoires par les images. Fasciné par les peintres romantiques allemands des XVIIIe et XIXe siècles, il est empreint de l’esthétique du sublime que fait naître la contemplation des grands paysages et de celle des artistes contemporains que sont Gerhard Richter et Anselm Kiefer. L’environnement cinématographique (David Lynch, Andreï Tarkovski, James Cameron) a également son importance pour les jeux de lumière, le lien au spectateur tout autant que l’imagerie scientifique issues de missions d’exploration sous-marine.

C’est par le prisme des « non-lieux » urbains, thématique fouillée lors de ses études aux Beaux-Arts de Paris, qu’il a entrepris son travail de peintre. Autoroutes, parkings et zones industrielles sont notamment l’expression de paysages contemporains et rappellent que les espaces vierges n’existent plus vraiment depuis que l’être humain a colonisé les terres. Dans cette exposition, il propose une nouvelle narration de ces lieux isolés, en explorant le monde fascinant des profondeurs.