À FLEUR DE BOUE, une proposition de Double Séjour avec Cecilia Granara & Pierre Unal-Brunet. Du 24 mars au 24 avril 2021.

Crédit Romain Darnaud
Crédit Romain Darnaud

Pour ce nouveau temps fort de sa programmation, Double Séjour invite Cecilia Granara et Pierre Unal-Brunet pour un Duo Show, À fleur de boue curaté par Thomas Havet du 24 mars au 24 avril 2021.

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En eaux troubles 

Voyons ce qui, depuis la boue, entache le regard d’un paquet de lumière collante, voire flagrante, criarde depuis le fond d’une cavité louche et torve qu’on n’oserait reluquer. Mais qui est vu et qui regarde ? Question sans doute sanglante, concernant principalement la lumière qui se cache, qui roule sur les yeux en manière d’apparition transitoire. De son côté, lui, elle, les autres, se penchent au-dessus de la boue pour mieux y voir. Et en eaux troubles finissent par discerner de la couleur, un reflet, un grain, une lueur bousculant l’épaisseur poisseuse de la part qu’habitent les monstres. 

Mais cette histoire charmante de lueur bien cachée recèle aussi son contraire, sa jumelle, une forme de niaiserie fourbe, dangereuse et efficace. Lui, elle, toujours les mêmes, peuvent s’y tromper. Car leurs pupilles se frottent au risque de basculer lorsqu’elles s’approchent du nuancier racoleur et des poses séduisantes. Tout est liquide, si bien que le confort se trouble, que la surface flamboyante de la peinture laisse paraître son double blafard. Au même moment, face à l’écran fardé, ils se tournent, remarquent un visage endormi, troué, bordé des doigts d’un spectre ; parade macabre s’il en est, la couleur coule, s’échappe, laissant place à l’agonie. 

Chiasmes 

À la manière des premières lignes d’un conte, À fleur de boue attrape le visiteur dans un jeu sournois, un fantasme l’engageant dans une valse où la dialectique érotique classique : entre l’odeur du sang, les miasmes et la beauté du jour, semble lui échapper. On entre ainsi dans l’espace comme dans la panse d’un animal magique. Bariolées, les veinules figurées au sol par Pierre Unal-Brunet suggèrent le revers de nos organes, ce qu’on ne voit pas et qui bien caché nous gouverne. 

Mais comme Jonas qui ne s’installe que trois jours dans le ventre monstrueux d’une créature aquatique, il faut bien s’extraire de la viscosité du suc et trouver joyeusement, délesté, une place aux côtés des méduses anthropomorphes de Cécilia Granara, elles qui s’adonnent à des purges expiatoires et émancipatrices. 

Sujet à caution, puisque le chemin inverse est plausible. Ils l’avaient remarqué, eux, toujours les mêmes : il s’agit bien d’un chassé-croisé, d’un va-et-vient trompeur entre ce qui s’assombrit et ce qui s’éclaire. Le sinistre ne se dissimule donc peut-être pas toujours dans l’aspérité de gueules de bêtes repoussantes qui, une fois clouées au mur, rappellent aussi bien des tapisseries ouvragées que des insectes imposants. En ce même lieu d’horreur et d’étonnement, la béance sensuelle du visage répond aux couleurs qui se drapent d’un autre sens, celui du pouvoir piaculaire, potentiellement démiurgique, tout du moins incantatoire, de faire sortir quelque chose de soi. 

Lui, elle

Qui sont-ils, ceux qui osent regarder du dedans, découvrir l’endroit où coïncident la liesse et la catastrophe, où monte à la gorge une odeur immonde — dont on ne connait trace ? Ce sont probablement ceux qui examinent le monde depuis leur œil, un orifice visqueux et trompeur, surface huileuse et pourtant profonde, origine de ce que l’on constate avant d’être vu ou de regarder. Aux créatures de répondre alors par leurs atours et leurs menaces. 

Texte de l’exposition par Rémi Guezodje 

Plus d’informations : doublesejour.com 

Crédit Romain Darnaud
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