Unknown Death, une exposition de Romain Lecornu à PCP16TH. Du 16 au 29 novembre 2020.

Exhibition view ©️ PCP16TH et GiaxGia studio
Exhibition view ©️ PCP16TH et GiaxGia studio


Commissariat d’exposition : Paul Créange

Les vagues ne déferlent pas sur cette plage d’un bleu poudre, ressemblant à parts égales aux cendres et au sable artificiel : le sol de l’exposition de Romain Lecornu, Unknown Death, est le premier geste qui projette le spectateur dans ce champ de morbidité délicat. Seize étages plus haut, dans l’atelier PCP16TH de Paul Créange au sein de POUSH, l’artiste émet cette substance à partir d’un extincteur, permettant aux empreintes des visiteurs de l’activer davantage.

Ce leitmotiv de la détérioration, et la temporalité qui lui correspond, se retrouve dans tous les aspects de l’exposition, qui incorpore des plastiques, des tissus et des os (certains vrais, d’autres non) récupérés. Au centre de la pièce, un squelette de félin arque son dos, prêt à sauter d’une chaise jaune vieillie. Si le corps est visiblement constitué de plâtre, le crâne provient d’un vrai chat que l’artiste a trouvé dans une allée avant d’entreprendre la tâche sordide de la taxidermie. Il est perché sur les entrailles d’une chaise de bureau, dont le tissu gribouillé fait écho à la typographie que l’on trouve sur les sweat-shirts de groupes de heavy metal.

Nous retrouvons cette référence à l’art comme habit dans un sweat gris épinglé au mur par une stalactite sculpturale. Ses excroissances, gelées dans le temps, imitent la forme des champignons enoki, eux-mêmes annonciateurs de décomposition. Taché et déchiqueté par endroits, le sweatshirt est percé d’une étoile de strass avec des breloques suspendues. Ici et ailleurs, l’artiste pose un regard ironique sur l’esthétique du ringard. Fixé sur l’une des trois
fenêtres, un autre crâne de chat tient dans sa bouche un arc-en-ciel de bâtonnets en plastique dont on se servirait pour mélanger une Piña colada ou un Sex on the Beach. Ces vestiges d’un Los Angeles ou d’un Las Vegas caricatural jouent avec la vue du Boulevard Périphérique, qui brille avec les lueurs rouges des voitures passant rapidement dans la nuit. Lecornu intègre ainsi le paysage urbain dans son expo, en révélant comment nous sommes à la fois en train d’accélérer vers et d’exister déjà dans l’apocalypse.

Cette imbrication de l’espace du studio et de l’espace urbain se fait par une sorte de blague qui devient aussi une critique. Sur la fenêtre qui donne sur le Sacré Cœur, par exemple, l’artiste a scotché un iPhone devant cette séance photo touristique. En s’emparant de cette vue fortement référencée, l’objet bloque en réalité la plupart de ce qui serait autrement vu. En tant que tel, Lecornu remplit l’un des objectifs du PCP16TH : de questionner et mettre en
mouvement les problématiques centrées sur le rapport qu’entretiennent les artistes aux objets et dispositifs qui nous entourent. Les angoisses liées aux déchets et à la dégradation anthropocentrique sont mises en avant dans cette exposition, qui présente un ensemble d’artefacts dont les humains se débarrassent, rappel importun de notre fragilité. Le seul véritable signe de vie dans l’exposition est la flamme de la bougie placée de façon précaire sur deux néons émergeant du mur. Comme la poussière sépulcrale du sol activée par les traces de nos pieds, cette pièce devient performance. En allumant la mèche, on encode un geste à la fois rituel et religieux. L’interruption intime du moment crée le contexte d’un souhait et interpelle la sainteté d’une prière. Le saut imaginatif de cet acte est immédiatement frustré par l’incapacité de maintenir la bougie en place, puisque sa cire commence à fondre au moment où elle embrasse les tubes de néons. Ces offrandes de cire – en orange, bleu ou gris – glissent de leur support, s’égouttent et s’écroulent. Ce cycle rappelle la
mort inconnue affichée dans le titre, comme le procédé de s’occuper de la vie précieuse que l’on sait condamnée, et l’honnêteté de notre désir de reprendre et de recommencer même face à une mort inévitable.

– Lou Ellingson

Exhibition view 6 ©️ PCP16TH et GiaxGia studio
Exhibition view 6 ©️ PCP16TH et GiaxGia studio
Insomnia 2, 2020. Néon, équerre plexiglas, fleur synthétique, bougies diverses, porte clé, transformateur 220v. 45cm x 40cm x 42cm
Insomnia 2, 2020. Néon, équerre plexiglas, fleur synthétique, bougies diverses, porte clé, transformateur 220v. 45cm x 40cm x 42cm
Exhibition view 3 ©️ PCP16TH et GiaxGia studio
Exhibition view 3 ©️ PCP16TH et GiaxGia studio